Le lien

L'adolescence pointant son nez, il n'est pas rare que les conflits se multiplient. Chez nous, qui nous pensions épargnés, présomptueux que nous étions, ils ont fait leur apparition au printemps dernier, à cette époque où Melle Parme s'était entichée d'un cavalier beau et bronzé qui fréquentait son cours d'équitation et qui était, évidemment, bien plus âgé qu'elle. En l'espace de quelques semaines, cette amourette a littéralement faire perdre la tête à Melle Parme, la tête, et donc avec elle, le jugement, la raison. Je me souviens avoir tenté de discuter au début, expliqué, répété, mais en vain. J'ai fini, dois-je l'avouer?, par hurler. J'ai menacé et j'ai puni, j'ai traqué les indices comme les preuves, j'ai confisqué les moyens de communication et j'ai débusqué les mensonges. En vérité, je me souviens surtout m'être fait un sang d'encre. Comme c'était à l'école que le bât blessait le plus, je me suis mise à vérifier les cahiers, à expliquer des leçons, à surveiller des exercices. Finalement, j'ai appliqué un principe simple d'éducation : j'ai détourné l'attention de ma fille en lui imposant de se concentrer sur autre chose, et je dois reconnaître que ce sont les fractions qui lui ont rendu la raison. L'été fut studieux pour Melle Parme : quinze jours d'Angleterre puis au retour, des exercices de maths, tous les jours, sans exception. La tâche, ardue au départ, s'est faite plus douce à mesure que les difficultés se sont amenuisées. La corvée est devenue un repère, la difficulté une énigme à résoudre, le travail un moment partagé. Fin août, Melle Parme disait d'elle même : " Bon ben moi, je vais faire mes maths..." et s'autocongratulait en énonçant ses scores de réussite. Aujourd'hui certes, elle a encore parfois quelques difficultés, mais ses notes progressent et elle a retrouvé l'estime d'elle-même. Son regard a changé. Le beau cavalier bronzé a disparu de sa vie : il faut croire qu'il n'était pas si intéressant. En tout cas, il s'est révélé incapable de rivaliser avec les As du Brushing qui figurent désormais sur les posters dont Melle Parme s'est mise à tapisser les murs de sa chambre. Je ne connais pas leur nom, ils ne doivent pas avoir beaucoup plus de quatorze ans mais j'avoue que les adore car ils n'incitent pas ma fille à écrire des mails en cachette à trois heures du matin et ne lui répètent pas qu'être bonne élève, c'est complètement has been... Melle Parme a retrouvé son ordinateur et occupe son temps libre à recopier inlassablement des textes de chansons qu'elle reprend à tue-tête. Nous avons retrouvé le lien - la confiance. Elle peut maintenant continuer de grandir car il me semble qu'elle a perçu depuis quelque chose d'essentiel : ce qu'elle était, ce qu'elle n'était pas, qu'il est parfois facile de se perdre, mais qu'on peut aussi - toujours- se retrouver.