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23 janvier 2012

Les départs # 2

Je lisais hier soir une scène de Rosa Candida dans laquelle le narrateur, faisant halte au détour d'une route dans une auberge isolée, relate le moment du repas quand, pour une raison qui m'échappe encore, je me suis souvenue de ce déjeuner dans un restaurant bourgeois du centre d'Evreux. A l'époque, nous étions (bien) plus jeunes, le Capitaine Indigo et moi, et ni Melle Parme ni même Mister Azur n'avaient encore vu le jour. J'effectuais des remplacements dans des collèges du Val d'Oise ou des Hauts de Seine et le Capitaine Indigo n'occupait pas encore les fonctions d'aujourd'hui. Nous n'avions pas encore acheté notre première (petite) maison, aux portes du parc naturel du Vexin. Non, à l'époque, c'était le début de notre histoire, et nous vivions à Argenteuil, dans un deux pièces plutôt sympa et tout neuf, planté au coeur d'un quartier pavillonnaire, plutôt sympa lui aussi. Heureux souvenirs. A l'époque, j'étais encore un peu une étudiante, et j'étais tiraillée entre mon (mes) poste(s) en banlieue et mes cours en plein coeur de Paris. J'avais le sentiment de vivre dans le RER - et surtout d'y perdre mon temps. Dans le RER, impossible d'envisager de travailler - à l'époque, souvenez-vous, on avait encore des feuilles et du papier...- , ni même de lire quelque chose d'un peu sérieux ; impossible, aux heures de pointe, de sortir un stylo de sa trousse pour surligner le passage essentiel, impossible même de se concentrer, debout, bousculée. Dans le RER, à la fin, j'avais juste assez d'énergie pour compter les stations. C'est alors qu'une copine de la fac, avec laquelle je suivais les cours de phonétique historique à Censier, m'a soufflé à l'oreille : "Ben, pourquoi ne t'éloignes-tu pas davantage de Paris?" D'après elle, l'idée n'avait rien de saugrenu. Elle, elle vivait à Vernon, en Haute-Normandie, et elle mettait moins de temps que moi pour rejoindre la fac. La gare n'était pas très éloignée de son domicile, elle pouvait y garer sa voiture facilement, et ensuite, elle attrapait son train Corail ( Votre mémoire remonte-t-elle jusqu'à là?) où, confortablement installée, fauteuil avec tablette, elle pouvait travailler en toute quiétude, une heure le matin, une heure en fin de journée, sans interruption. Ce que je faisais à mon retour, elle l'avait, elle, accompli avant même d'etre rentrée chez elle. L'idée alors, a fait son bonhomme de chemin dans mon esprit, d'autant que dans le même temps, le Capitaine Indigo s'était vu confier une mission à Evreux, où il travaillait une à deux journée par semaine. Parfois plus, parfois moins. Il en rentrait enchanté : la ville te séduirait, disait-il, on pourrait y trouver une maison, s'installer, s'y plaire... C'est ainsi qu'un dimanche nous nous sommes retrouvés attablés dans ce restaurant où il venait souvent déjeuner, accompagné de ses collègues, et où il commençait à avoir ses habitudes. Nous en avons fait, des projets, ce jour-là.... Notre vie entière défilait sous nos yeux... Evidemment, vous l'aurez compris, ces projets ne se sont jamais concrétisés et c'est une autre histoire qui s'est écrite au fil des années. Nous avons acheté la petite maison aux portes du Vexin. Puis, peu de temps après la naissance de Melle Parme, alors que nous manquions d'espace, une autre, aux portes de Pontoise. C'est alors que le Capitaine Indigo s'est vu appelé ici - nos cartons n'étaient pas même tous déballés. Départ précipité pour une ville et une région dont nous ne savions rien - juste un nom sur une carte, rien de plus...

Il aura fallu dix ans. Ou presque. Presque dix ans à me dire : mais il faut repartir, rentrer, tout remballer et nous retrouver, là-haut, chez nous. Presque dix ans, à faire les comptes, de ce qu'on a gagné, de ce qu'on a perdu. Et puis, dix années à lentement me laisser tenter. Dix années somme toute, pas encore totalement essentielles pour nous, mais néanmoins presque une vie pour nos enfants... Alors, hier après-midi, accompagnés de Melle Parme, puisque Mister Azur était retenu autre part, nous sommes allés les visiter, ces villages au-dessus de chez nous auxquels j'ai toujours refusé de m'intéresser. Et je dois avouer que c'était plutôt agréable. Il faisait beau, des enfants jouaient au foot sur la place, et on s'est dit que là, sans doute, la vie était paisible. Un peu loin de tout, peut-être? Alors on a repris la voiture et on est repartis, sur l'autre versant, en direction d'une autre ville. C'était dimanche, mais sur la grand-place, les terrasses étaient pleines. Melle Parme a voulu une crêpe et on a discuté un bon moment avec la dame. De gourmandise, de cet hiver incroyable, du plaisir qu'il y a à s'asseoir au soleil, en hiver. On a marché dans les ruelles de la vieille ville, et on s'est regardés : c'est pas mal, par ici, non? La forêt est toute proche, et il y a le lycée...

C'est peut-être pour cette raison qu'hier soir, en lisant Rosa Candida, j'ai repensé à ce dimanche, à Evreux, un jour d'hiver. A cause des mots, presque identiques, vingt ans plus tard, du Capitaine Indigo.

La ville te séduirait, disait-il, on pourrait y trouver une maison. S'installer. S'y plaire.

 

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Commentaires
E
les projets, les rêves, les histoires, les routes et les bifurcations... et les choix.<br /> <br /> Comme cela est joliment raconté.<br /> <br /> J'attends la suite !
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